AU FOND D’UN GOUFFRE

450 m de diamètre et 400 m de profondeur Ce sont les dimensions de la mégadoline de Minyé, un des plus grands trous d’érosion de la Terre situé en plein cœur de la jungle de Nouvelle Guinée Papouasie. Je vais m’y retrouver coincé pendant près de 24h sans aucun matériel de survie.

L’histoire débute au moment où, avec l’équipe d’UshuaÏa dont je fais partie en tant que photographe du Figaro-Magazine (partenaire de la chaîne à cette époque), nous partons à la rencontre de la mégadoline de Minyé, en pleine jungle et à plus de 450 km de Rabaul. L’expédition se compose de 11 personnes, dont trois spéléologues, deux cameramen, un preneur de son, un assistant, deux pilotes d’hélicoptères, Nicolas Hulot et moi-même. Les hélicoptères n’ayant pas une autonomie suffisante, des barils de carburant ont été déposés au préalable par un bateau, à mi-chemin de là, sur une plage bordant la jungle. Méthode on ne peut plus rustique, car pour transférer le précieux liquide dans les réservoirs des appareils, les pilotes vont devoir actionner vigoureusement une simple pompe à main. En arrivant près de son but, le premier appareil à bord duquel j’ai pris place, survole le site. Dans l’immensité verte de la jungle, nous apercevons la zone d’ombre marquant l’ouverture du gouffre.
Les parois abruptes de la mégadoline s’enfoncent à plus de 410 m sous terre et en rendent l’abord pratiquement inaccessibles. Les autochtone ne se sont jamais essayé à descendre dans ce gouffre aux dimensions gigantesques; un volume de 26 millions de mètres cubes, ça en impose!… D’autant que les papous imaginent ces lieux habités par des mauvais esprits. l’équipe établi un camp de base dans le village papou de Tuké, à une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau de son objectif. Les spéléologues qui nous accompagnent, sont déjà venus ici il y a deux ans. Même avec du matériel adapté, ils ont mis plus de six jours à atteindre le fond du gouffre ; un exploit !
Grâce à l’hélicoptère, nous allons pouvoir poser nos pieds dans ces lieux en  quelques petites minutes. C’est une première pour Allan notre pilote, mais il nous accompagnera à l’intérieur de la mégadoline en toute sécurité. Cet australien, au visage cramoisi de soleil, fait montre d’une grande dextérité aux commandes de son engin. Avec des gestes précis, il entame sa descente en faisant effectuer des cercles concentriques à l’appareil. Seul un hélicoptère à pales multiples, tel que le Hugues 500, peut évoluer dans les faibles portances d’air qui sévissent dans ces gouffres.

L’hélicoptère pénètre dans la mégadoline

L’appareil effectue sa descente vers le fond du gouffre en effectuant des cercles concentriques. Son rotor à cinq pales réagit en puissance pour permettre à l’engin d’évoluer dans d’infimes quantités d’air. Malgré le casque vissé sur la tête, le bruit devient insoutenable par l’effet de mise en vibration des pales et de leur propre écho dans l’environnement rocheux ; nous avons l’impression désagréable que l’appareil va se disloquer. Mais en s’approchant du fond les trépidations cessent pour laisser place au grondement continu des chûtes d’eau environnantes.
Un trou minuscule… De 400m de diamètre.Au dessus de nos têtes, le ciel n’est plus qu’un rond minuscule creusé dans la jungle. Nous avons l’impression que la terre va se refermer sur nos corps ridiculement petits. La pente, accentuée par les éboulis rocheux, oblige le pilote à nous débarquer en stationnaire, à tout juste un mètre du sol. En mettant nos pieds sur les patins, la moindre brusquerie de notre part pourrait engendrer une catastrophe ; les pales de l’hélicoptère déstabilisé frôleraient dangereusement les parois rocheuses. Donc, il faut prendre appuie délicatement sur le patin, puis le lâcher en douceur. Le souffle des pales sur l’eau qui dévale en cascade de la montagne, rend l’opération de débarquement encore plus périlleuse et en même temps, nous nous retrouvons copieusement arrosés par les milliers de gouttes d’eau s’échappant des cascades. Allan effectuera en tout quatre rotations, pour amener toute l’équipe des sept personnes accompagnées de leur matériel, du camp de base au fond de la mégadoline. Le fond du gouffre, n’est qu’une jungle dense, tapissée d’arbres morts imbibés d’eau et d’éboulis rocheux. Un torrent surgit d’une des ouvertures souterraines. Il court en zig-zag, dans le fond de la mégadoline, puis s’enfonce à nouveau dans les parois de la montagne.Le débit du cours d’eau est impressionnant; plusieurs mètres cubes seconde qui dégueulent de la grotte dans un vacarme infernal. Le spéléologue Gérald Favre, qui a déjà découvert le site quatre ans plus tôt, nous sert de guide pour pénétrer sous le porche de la résurgence aux dimensions relativement réduites.

Aussi vaste qu’une cathédrale

Pourtant, en traversant les roches glissantes couvertes de mousse, on va accéder à une salle aux dimensions délirantes : largeur 200 mètres, longueur 200 mètres et hauteur 120 mètres. Le tout, dans une pénombre totale, enveloppée de la rumeur assourdissante des eaux qui arrivent en cascade depuis les entrailles de la terre. La vision est dantesque. Les voutes rocheuses s’animent sous le pinceau lumineux des torches brandies par les spéléos. Des centaines de grosses chauves souris, dérangées dans leur sommeil diurne, s’envolent de manière désordonnée en criant de frayeur. L’écume blanche des eaux s’éclaire sous la lumière des puissants projecteurs que viennent d’installer les cameramen et l’ombre démesurée des spéléos s’allonge sur les parois de la grotte. Le tournage de l’émission Ushuaïa a pour cadre ces immenses cascades souterraines que Gérald Favre fait découvrir à Nicolas Hulot. Pendant plus de deux heures, l’équipe va vivre des moments fabuleux qui resteront gravés à jamais dans leur mémoire.

Les choses commencent à mal tourner…

Pour rappel, après quatre rotations de l’hélicoptère, l’ensemble du groupe s’est retrouvé dans le fond de la mégadoline vers 10h30 du matin. L’équipe doit assurer le tournage du reportage, enregistrer tous les plans et les interview, puis revenir au rendez-vous prévu avec le pilote vers 15H, à l’endroit où les passagers ont été déposés. A l’heure convenue tout le monde est là, mais pas d’hélicoptère à l’horizon. En levant les têtes vers l’ouverture du sommet, on a beau fouiller le ciel, aucune trace d’appareil dans cette minuscule trouée vers l’azur. On lève la tête et ce n’est qu’un minuscule trou qui apparait au sommet du gouffre.
Les minutes passent, les quarts d’heure, les heures puis, vers 17h il faut se rendre à l’évidence, le pilote ne reviendra pas ce soir. On va devoir installer un camp de fortune pour passer la nuit. Un des cameramen, style Tarzan matiné de Rambo, propose de couper des feuilles de bananiers sauvages et de constituer une couche plus confortable pour passer la nuit. Malgré tout, le moral est au beau fixe. Jusqu’au moment où Nicolas, s’adressant aux spéléologues : « Bon les gars, il va falloir sortir la survie. On a quoi au menu ? » Et là ; consternation sur les visages, quand le responsable répond : « Ho ! Désolé Nicolas, mais j’ai complètement oublié d’apporter la survie, on a rien à bouffer ! » D’un commun accord…. gentleman’s agreement, oblige ….Il va falloir se résoudre à ne plus aborder l’idée de repas. Tout le monde s’engage à ne prononcer aucun terme ayant trait à la nourriture. On ne peut même pas envisager de prélever un fruit ou une graine dans la luxuriance environnante ; personne ne connaissant les spécimens locaux on risque d’ingurgiter une substance toxique foudroyante. Le moindre mal dans tout ça, c’est que nous disposons de l’eau du torrent et qu’on ne mourra donc pas de soif.
Quand la fraicheur du soir commence à s’installer, le bois environnant très humide ne laisse guère augurer d’un bon feu. Pourtant, c’est à ce moment là que le spéléologue, responsable de la survie, va remonter dans l’estime de tous. Il a l’idée de récupérer le carbure destiné aux torches frontales, d’en verser une bonne quantité sur le bois gorgé d’eau et, le gaz se formant, réussit à enflammer les plus petites branches, qui, à leur tour vont embraser les plus gros morceaux de bois qui alimenteront le feu de camp toute la nuit. Dans l’après-midi, un caméraman a voulu se baigner dans l’eau du torrent tout habillé. Maintenant, la nuit et la température tombant rapidement, du fait de la brumisation des cascades environnantes ; il regrette sa trempette et grelotte de froid. Je lui passe un T-shirt de rechange que j’avais apporté, mais du coup, à part mon léger chapeau de brousse en toile, il ne me reste plus grand chose pour me réchauffer. Mon jean et mes chaussettes, suspendus à des lianes au dessus du feu de camp, sèchent tant bien que mal, en s’imprégnant d’une odeur de bois moisi brûlé, aux effluves épouvantables. Le pire n’est pas le manque de nourriture, après tout, on peut se passer de manger plusieurs jours, voire des semaines, selon que l’on a constitué des réserves de graisse. C’est la soif qui est le plus terrible ; on ne peut pas tenir bien longtemps sans s’hydrater. Mais là non plus, ce n’est pas un soucis, puisque nous disposons de l’eau de torrent et on peut la boire à satiété. Non, le pire c’est de ne pas savoir quand et comment et pourquoi on est coincés dans ce trou.

Des Robinson malgré eux

Pourquoi le pilote n’est il pas revenu ? Y a t’il eu un malade sur le camp de base et qu’il a fallu le rapatrier d’urgence à Rabaul ? Un problème météo ? Ce n’est pas possible ; quand on regarde la trouée au sommet de la mégadoline, aucun nuage ne vient tacher le bleu intense du ciel.
Alors la panne, l’accident ? Le pilote se serait-il scratché dans la jungle ? Tout est possible ! La seule chose que l’on sait, c’est qu’on ne peut absolument pas communiquer avec l’extérieur. On a beau disposer d’émetteurs ultra sophistiqués, les ondes radio ne pouvant absolument pas traverser les couches de roches environnantes, ils ne servent à rien. Un téléphone satellite, mais faudrait-il en avoir un avec nous, ce qui n’est pas le cas et, de plus, il faudrait pouvoir orienter le matériel avec précision vers un satellite. Bref, On est dans la M…. ! Le froid, le sommeil et la faim se font ressentir. Pour calmer cette dernière, on lorgne bien vers l’habitat des immenses « flying foxes ». Ces chauve-souris ont l’air suffisamment dodues pour assurer un festin de bon aloi ; mais bon, faudrait-il pouvoir les capturer . Et là, c’est une autre paire de manches. Toute la nuit, chacun va rester dans ses pensées plus ou moins reluisantes. On est fatigués, le sommeil nous assaille et nous tombons rapidement dans les bras de Morphée. Mais l’angoisse est là, elle nous réveille. Les images passent dans les têtes. « Pourquoi j’ai choisi de venir dans ce trou ? Il faut être vraiment stupide… Il n’y a que moi, pour se mettre dans des situations pareilles ! » La nuit va se dérouler ainsi de manière épouvantable. Au petit matin, il est 6h, les visages accusent la fatigue et les cauchemars. Tous lèvent les yeux au ciel et c’est la consternation. La trouée du sommet a disparu pour laisser place à un ruban brumeux. Les nuages sont là et ne laissent augurer rien de bon. Même si le pilote peut décoller, il ne pourra jamais franchir cette barrière laiteuse! Les heures passent, les brumes se détachent doucement, mais toujours pas d’hélico en vue. De temps à autre, je suis victime de ce que l’on pourrait appeler des mirages sonores. J’ai l’impression de percevoir le vrombissement caractéristique du moteur de l’hélicoptère, mais ce n’est que le crépitement de l’eau de la cascade qui me le fait espérer.

Happy end

Les heures passent, 9h, puis 10h et soudain, malgré les nombreux nuages toujours présents dans le ciel, le Hugues 500, avec ses belles couleurs jaunes vif, vient enfin se montrer au sommet. Un passage, puis un autre et il disparaît à nouveau pendant une bonne heure. L’espoir est pourtant revenu. On sait maintenant qu’il n’y a plus de raison de s’en faire ; le calvaire touche à sa fin. Effectivement, sur le coup de 10h30, soit près d’une journée après notre installation au fond de la mégadoline, le pilote vient se placer en stationnaire pour récupérer les premiers groupes. Je ne ferai parti que de la troisième rotation, mais je sais maintenant que tout est terminé. La raison ? C’était tout simplement un problème de météo qui avait empêché le décollage de l’appareil. Comme le sommet de la mégadoline forme un cratère d’altitude, on n’imaginait pas que des nuages aient envahi la vallée en contrebas où se trouvait le camp de base. Malgré la trouée de ciel bleu que nous voyions au sommet, l’hélicoptère est resté cloué au sol jusqu’au moment où les nuages, enfin balayés par les vents, permettraient enfin de décoller. C’est à dire, le lendemain ! Lorsque nous nous retrouvâmes enfin au camp de base, tous sains et sauf, une montagne de sandwiches délicieux nous attendaient ; de pain ferme.

Reportage Christian VOULGAROPOULOS