GUYANE, AU FIL DU MARONI

La vie douce des indiens Saramaka coule tranquillement le long du plus grand fleuve de Guyane. Pour faire une visite originale de cette région, il suffit de remonter le cours du Maroni en pirogue.

Un périple fluvial, d’environ 450 km, entrecoupé de «sauts» qui, au terme du voyage, nous auront fait franchir un dénivelé de plus de 100 m de haut. Le visiteur en quête de plages de sable blond bordées de cocotiers, sera bien déçu. Ici, le cliché de l’exotisme n’est pas de mise et hormis quelques portions de rivage privilégiées, il n’offre aux baigneur que l’aspect désolé de la mangrove. Un littoral submergé de palétuviers poussant dans les limons noirâtres rejetés par l’Oyappock et le Maroni, les deux plus grands fleuves du pays.
Pour bien saisir la Guyane il faut l’aborder de deux manières.
La première, en ouvrant le livre d’histoire du bagne, incluant la visite des île du Salut et du centre de déportation de Saint Laurent du Maroni. On s’y imprégnera du calvaire vécu par les bannis de la société française pendant plus d’un siècle.
De 1852 à 1954, ils se sont retrouvés enfermés dans cet enfer en plein cœur du paradis terrestre. Les quelques vestiges restés visibles, au sein d’une jungle vorace qui engloutit tout sur son passage, témoignent de l’épouvantable vie des bagnards.

De l’eau, des arbres et la solitude

Mais abandonnons ces tristes moments du passé pour aborder le volet aventurier du tourisme guyanais : la remontée du Maroni en pirogue, jusqu’à Maripasoula.
Cette promenade pour le moins originale, consiste à emprunter le fleuve frontière avec le Surinam, sur des embarcations longues et étroites, creusée dans des troncs d’arbre.
En période de basses eaux, les fonds du côté français ne sont pas toujours suffisants et les limites frontalières, devenues invisibles, sont franchies régulièrement en toute innocence.
Il arrive que l’on y fasse de mauvaises rencontres, comme ces rebelles surinamiens, les « jungle commandos», qui rackettent les voyageurs. Armés de fusils mitrailleurs, ils n’abandonnent leur terrifiante attitude que lorsqu’ils aperçoivent l’offrande des touristes effrayés : quelques bouteilles de rhum.
Le fleuve est une véritable autoroute où se croisent toutes sortes de voyageurs. Indiens habitants l’autre rive du fleuve, visiteurs en ballade, patrouilles fluviales françaises, pirogues de pêcheurs locaux, ou barges de chercheurs d’or. Tout le monde se salue au passage et se souhaite bonne chance, c’est la tradition guyanaise.
Dans le bruit assourdissant de son moteur, le canot file sur l’eau à toute vitesse.Il est très rare qu’une pirogue se retourne car le takiri (pilote dans le jargon guyanais) a du talent. Debout à l’avant de son embarcation, il scrute la surface de l’eau à l’affût du moindre rocher. Dans l’onde tumultueuse du fleuve, il doit contourner les écueils par de savants coups de perche. Sa pirogue exécute les détours avec précision. En évitant les sauts tumultueux, il doit garder toute son attention en permanence, car la règle absolue est de laisser le passage à la pirogue remontant le fleuve, faute de quoi, c’est l’accident.
Les passagers sont fréquemment sollicités pour aider au passage des sauts. Tirant énergiquement sur les cordes, ou poussant l’arrière de la pirogue, on croit être sortis d’affaire quand, quelques méandres plus loin, il faut tout recommencer.
L’eau, encore l’eau, toujours l’eau… Elle est omniprésente; on la boit, on s’y lave, ou on s’y baigne, quand on ne se nourrit pas de sa faune. Le long du fleuve, de nombreux villages aux toits de paille se signalent par une trouée dans la végétation tropicale. C’est l’abatis.
Pour cultiver son minuscule lopin de terre, l’indien ou le nègre marron (descendant de noir évadé du bagne), doit abattre quelques arpents de forêt dans lesquels il fait pousser le manioc. C’est, avec le poisson, la nourriture essentielle des habitants du fleuve.
Les populations de ces petits villages sont très accueillantes et offre l’hospitalité pour les haltes nocturnes.
Le soir à l’étape, la pêche du jour grillée sur la plage, est fréquemment partagée avec les habitants du petit hameau. Les cases au confort précaire, abritent toute la famille à longueur d’année, mais on n’y rencontre pratiquement que les femmes et les enfants. Les hommes sont toujours absents. Partis chasser, pêcher, ou effectuant un transport de fret, la principale activité lucrative des piroguiers.
Les enfants arrivent toujours les premiers et assaillent les passagers en riant. Ils débitent à toute vitesse des mots de bienvenue. Bien qu’ils soient tous issus d’ethnies très différentes, noirs, blancs et indiens parlent la même langue, le taki-taki, un sabir mêlé de français, d’indien et d’africain. Au centre du village, il y à toujours le carbet de passage pour accueillir le voyageur Un confort spartiate l’attend avec, en guise de couche, un hamac et le toit de paille d’un carbet comme seule protection extérieure.

Un confort spartiate, mais authentique

Celui qui ne s’est jamais allongé dans un hamac n’a pas idée des difficultés rencontrées pour trouver le sommeil. Il faut rechercher tout seul la meilleure position. Certains se couchent en travers, d’autres en chien de fusil, d’autres encore, tentent la position en longueur. Heureusement, l’épuisement d’une journée de pirogue, sous un soleil de plomb, décide rapidement Morphée à nous ouvrir les bras.
Les plus malins, ou les plus organisés, ont une moustiquaire qu’ils déplient autour du hamac pour se protéger des princes de la piqûre, mais également pour que l’énorme araignée, posée délicatement dans la paille de la toiture, ne fasse une chute malencontreuse sur le lit de fortune.
L’ambiance décibels est presque la même que dans les grandes métropoles. Le vrombissement des voitures est seulement remplacé par les cris des oiseaux nocturnes, par le croassement des multiples variétés de crapauds ou celui des grenouilles, quand il ne s’agit pas du ronronnement de la barge des orpailleurs qui, filtrant le fleuve de jour comme de nuit, s’acharne à la quête d’un hypothétique Eldorado.
Les levers de soleils sur le Maroni sont en perpétuels changements. Tantôt, le fleuve brille d’un gris acier, puis il éclate dans une myriade de bleus reflétés par le ciel et les nuages. Ces teintes, en constante transformation selon les époques de l’année, empêchent une description précise de ce qu’observent les yeux. Parfois, le ciel devient menaçant et noircit subitement. Des pluies torrentielles s’abattent alors sur les hommes et le bateau. La visibilité quasi nulle et la chute de la température ambiante, qui descend d’une quinzaine de degrés, oblige les passagers à se blottir sous leurs protections imperméables.

Le plus beau monument terrestre

Dans un décor impénétrable, toujours verts, la forêt défile sempiternellement le long des rives du fleuve. Les arbres gigantesques, dont on a répertorié seulement 2000 espèces sur les 5OOO estimés en forêt amazonienne, se dressent majestueusement, comme les gardiens impassibles du secret de la nature.
Peu d’animaux se montrent aux visiteurs, ils préfèrent se réfugier derrière la flore dense et seuls les papillons, des morphos bleu gigantesques (jusqu’à 20 cm d’envergure) se montrent aux amoureux de la faune équatoriale.
De Maripasoula à Saint Laurent, le retour s’effectue en avion, ce qui permet d’appréhender succinctement le gigantisme de la forêt, le plus grand monument de Guyane.

Reportage : Christian VOULGAROPOULOS