LES RÉSINIERS DES LANDES.

Mon premier reportage, texte et photos, publié dans le Pèlerin Magazine en 1972.

La crise du pétrole a poussé les chercheurs français à trouver de nouvelles matières susceptibles de remplacer l’or noir. La colophane, issue de la résine de pin a longtemps servi dans le fartage des archers de violons mais elle a prouvé depuis longtemps qu’elle pouvait également entrer dans la production de bien d’autres matériaux. Par exemple, l’essence de térébenthine obtenue après transformation et destinée aux artistes peintres pour diluer les couleurs, ou comme isolant naturel en protégeant les aliments du métal présent dans les conserves.

La région des Landes, jusqu’en 1857, était  entièrement recouvertes de marécages avec, comme seuls habitants, des troupeaux de moutons et leurs bergers chargés de les surveiller du haut de leurs échasses. Pour assécher ces lieux menacés par l’érosion due à la montée des eaux (et oui, déjà le réchauffement climatique inquiétait les français) Napoléon III décida  de faire planter une des plus immense forêt artificielle d’Europe, avec une seule essence : le pin maritime. Pour une industrie friande de résine de pin,  on fit appel à une main d’œuvre importante pour effectuer la récolte de 180 millions de litres du précieux produit par an. (En 1900, près de 15 000 familles de gemmeurs, dans le Sud-Ouest, vivaient de cette activité).

Pourtant, à partir des années 60, la forêt des Landes s’est transformée radicalement en région productrice de pâte à papier, au détriment de la résine de pin. Pourquoi ? La concurrence « déloyale » des pays émergents de l’époque, à savoir, la Grèce et le Portugal. Difficile de mettre sur le marché à ce moment là un produit qui revient plus cher en terme de production, et ce fut le cas pour les terpènes. Un litre de gemme acheté au Portugal coûtait aux industriels français 5 francs (environ 1 euros aujourd’hui) alors que cette somme représentait la valeur payée au gemmeur pour la récolter. Impossible dans ce cas de s’aligner sur les prix. Certains politiciens de la région essayèrent bien d’obtenir des aides gouvernementales mais ils défendirent mal leurs administréset n’obtenant aucune autre possibilité, les propriétaires forestiers se trouvèrent dans la seule issue possible : couper les arbres pour en faire de la pâte à papier.
Très peu de temps après, la production française de résine de pin s’étant volatilisée (un pin gemmable doit avoir minimum 45 ans) la forêt landaise habitée d’arbres d’à peine 15 ans, n’était plus concurrentielle avec l’étranger (elle n’aurait pu produire de résine de pin avant de nombreuses années). Aussitôt, les prix grimpèrent de manière vertigineuse et les Portugais, comme les grecs, se mirent à vendre une résine encore plus chère que celle qu’auraient pût produire les exploitants français.
En 1972, j’ai rencontré un des derniers résiniers des Landes.
Joseph Farthoat, dit « La Grimpette », vivait dans la forêt depuis 64 ans. La « pignada » était son univers. Il y travaillait, il y vivait et il y est vraisemblablement mort.
Son surnom, il l’avait gagné à un concours lorsqu’il était tout gosse ; il était le plus habile et le plus rapide à grimper au faîte des pins.
La récolte de la résine interdit toute industrialisation ; ce métier ne peut qu’être artisanal. Comme partout, il y a de bons et de mauvais artisans, mais Joseph faisait partie des meilleurs. Il partait, souvent pour plusieurs jours, arpenter la pinède. Sa vieille bicyclette, aussi âgée que lui, le portait encore vaillamment sur les pistes sablonneuses et l’amenait dans les maisons forestières qui lui fournissaient un abri précaire pour passer les nuits. Leurs noms sont autant d’invitation à la rêverie, « La Gracieuse » ou le « Crau des cavales ». Ses randonnées solitaires duraient parfois plusieurs jours, car le gemmeur devait s’occuper d’un vaste territoire.
Comme lui, sur d’autres continents, des hommes isolés, au milieu d’une nature peu accueillante, ont récolté les matières premières nécessaires au développement du monde moderne.
En Guyane autrefois, les bagnards se chargeaient de ce travail. Ils partaient 1 à 2 mois dans la jungle et revenaient en poussant une énorme boule de latex qu’il faudrait ensuite transformer à l’aide du feu. Aucune possibilité d’évasion, seule la mort pouvait être au rendez-vous.
Le métier de résinier n’était pas aussi simple. Outre la complexité des techniques de gemmage, il fallait être constamment vigilant car l’un des stades de la récolte était extrêmement dangereux, c’était au moment où il s’agissait de manipuler l’acide sulfurique pour raviver l’écoulement de la résine. Cet acide, généralement transporté dans une bouteille au fond de la musette, a provoqué de nombreux accidents.
La « Grimpette » racontait l’anecdote suivante :
« il y en avait un qui était borgne. Il part dans la « pignada » avec son matériel et une bonne quantité de vin pour se donner du courage. Arrivé dans ses pins, il prend sa rainette armée de la poire remplie d’acide et, je ne sais pas comment il se débrouille, mais au lieu de diriger le produit vers l’arbre, il l’oriente vers son seul œil valide et s’asperge copieusement d’acide. Fou de douleur, il veut se rincer le visage avec la bouteille de vin, mais là encore il se trompe et s’asperge avec la réserve d’acide présente dans sa musette à côté de la bouteille de vin. On l’a trouvé quelques jours plus tard je ne vous dis pas dans quel état… »
Ce genre d’accident n’empêchait pas le résinier de goûter aux joies profondes de la nature et la vie reprenait toujours le dessus… La « Grimpette » savait oublier ses problèmes, sa consommation de vin devait y être pour quelque chose, il me confia que pour une production annuelle de 150 litres de résine, il avouait une « descente de 300 litres de vins. Pas mal !

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